TROP D’EAU, PAS D’EAU : LES COMMUNAUTES DU BASSIN DU LAC TCHAD TOURMENTEES PAR UN STRESS HYDRIQUE PERMANENT

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TROP D’EAU, PAS D’EAU : LES COMMUNAUTES DU BASSIN DU LAC TCHAD TOURMENTEES PAR UN STRESS HYDRIQUE PERMANENT

 Moïse MBIMBE[1], Louise LOKUMU[2] et Christian PORO[3]

Dans sa Résolution n°64/292 du 28 juillet 2010, l’Assemblée Générale des Nations Unies a reconnu le droit fondamental de l’homme à l’eau. Cette prérogative qui s’inscrit dans le prolongement du droit à un niveau de vie suffisant suppose l’accessibilité physique de l’eau en quantité et qualité convenables, à un coût abordable, pour les usages personnels et domestiques (boisson, assainissement individuel, lavage de linge, préparation des aliments, hygiène, etc.). Pendant plusieurs décennies, l’accès à l’eau était le dernier souci des riverains du Lac Tchad même si son caractère adéquat ne pouvait être garanti. En effet, dans les années 1960, cette ressource partagée entre l’Extrême-Nord du Cameroun, le Sud-Est du Niger, le Nord-Est du Nigeria et  l’Ouest du Tchad, couvrait une superficie de près de 25 000 km² (et 350 000 km² il y a 21 000 ans)[4] ; ce qui en faisait l’un des plus grands lacs au monde. A ce jour, il couvre près de 3000 km². Le rétrécissement de cette zone humide d’importance internationale est le fait d’activités anthropiques (irrigation et barrages par exemple) certes, mais résulte également du réchauffement de la terre particulièrement fatal à son bassin quasi-aride à aride. En conséquence, ces communautés qui ont structuré leurs modes de vie autour de l’eau croupissent sous le poids du stress hydrique. Au sens de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), le stress hydrique s’entend de la situation dans laquelle la demande d’eau douce des aquifères, cours d’eau et lacs pouvant être prélevée à diverses fins (irrigation, activités manufacturières, consommation humaine, élevage, production d’électricité, etc.) dans un bassin (ou sous-bassin) hydrographique est élevée par rapport à la moyenne annuelle des disponibilités en eau (précipitations moins évapotranspiration) dans ce bassin. Force est cependant de constater que la sècheresse[5] et la désertification[6] ne sont pas les seules sources du stress hydrique pour les communautés du Bassin du Lac Tchad (BLT). En effet, paradoxalement, en plus de la sècheresse et de la désertification ayant conduit aux migrations vers le « nouveau rivage » du lac[7], les populations paient souvent un lourd tribut lors d’épisodes de pluies, dans un contexte où les sols du bassin sont en général argileux. Ces épisodes et les inondations[8] qui s’en suivent, entraînent ainsi la contamination des ressources en eau. Dans ce cycle du stress, il importe d’analyser les défis que posent la sècheresse, la désertification et les inondations sur l’accès adéquat à l’eau pour les communautés riveraines du BLT. Par ailleurs, interroger le rôle que peut jouer la Charte de l’eau du BLT adoptée le 30 avril 2012 et entrée en vigueur en 2017, s’avère nécessaire au vu de la limitation quantitative et qualitative de la ressource hydrique par suite du changement climatique et des activités anthropiques.

Le Lac Tchad : l’oasis sahélienne qui s’assèche et limite l’accès des populations riveraines à des quantités d’eau suffisantes 

Depuis toujours, le Lac Tchad est au cœur des moyens de subsistance de ses communautés riveraines auxquelles il fournit ressources halieutiques, fauniques et hydriques. Avec les épisodes de grande sécheresse des années 1970 et 1980 qui ont favorisé une importante diminution des ressources du bassin, l’eau est devenue une denrée de plus en plus rare pour ces communautés. En effet, le Lac Tchad a perdu près de 90% de sa superficie pendant ces épisodes, passant de 25 000 km² à plus ou moins 3 000 km² à ce jour. Les rives nigériennes du Lac Tchad ont particulièrement été impactées par ce phénomène climatique extrême et se sont complètement asséchées. De manière générale, la cuvette Nord du BLT, sahélienne, n’enregistre de précipitations que très rarement (entre 200 et 450 millimètres de pluies par an).  Cette situation limite considérablement l’accès des communautés à une eau adéquate et en quantité suffisante autant pour leur boisson que pour les activités quotidiennes. Ces populations n’ont de fait pas accès au minimum de 1 700 m3 d’eau par habitant et par an[9]. Cet état de choses en fait d’éternels migrants et exacerbe les conflits sociaux sur la ressource en eau.

A ce facteur climatique, ont tendance à s’ajouter des pratiques culturales non durables et « hydrovores »[10] assises sur l’irrigation en tant que mécanisme d’adaptation de petite échelle. Avec le rétrécissement progressif du lac, l’agriculture est devenue une activité de plus en plus courue dans le BLT. Mais les populations se sont progressivement adonnées à des cultures de rente comme le riz au détriment de cultures de consommation telles que le blé ou le maïs ; accentuant ainsi les pressions sur la ressource hydrique. En effet, de plus en plus de terres fertiles sont colonisées dans le lit du lac Tchad ; l’humidité résiduelle des nappes étant une source importante d’eau pour l’agriculture. La superficie des terres cultivées du bassin est estimée à 2 800 000 hectares sur un potentiel de 7 000 000 hectares ; la plus grande partie des terres cultivées se trouvant au Niger qui compte 2 010 000 hectares[11].

Même si le retrait des eaux du Lac Tchad permet l’accès des communautés riveraines aux terres fertiles, il n’en demeure pas moins que plusieurs localités dépendant du Lac Tchad sont situées dans une zone semi-aride fortement marquée par une importante réduction de la pluviométrie. Ces quarante dernières années, la demande en eau pour l’irrigation a quadruplé. Dans les bassins du Kano et de l’Hadejia au Nigeria où l’irrigation est une pratique séculaire, l’on estime à 23 le nombre barrages en terre réalisés pour la rétention d’eau à usage agricole, souvent avec l’appui de l’Etat. Pour sa part, le Nigeria a construit deux barrages sur le Komadougou Yobé avec pour effet l’effondrement du débit du cours d’eau de 7 km3 à 0,45 km3 par an. S’il est vrai que le Komadougou Yobé ne contribue qu’à moins de 10% des eaux du lac, il reste qu’il est un facteur de réduction de la quantité d’eau disponible pour les autres utilisateurs, accentuant ainsi l’assèchement du Lac Tchad et son corollaire qu’est le stress hydrique.

Le Bassin du Lac Tchad et ses sols quasi-imperméables : des sources d’inondations qui compromettent la qualité de l’eau

Si de manière générale, la pluviométrie dans le BLT est faible notamment dans sa partie Nord où l’on enregistre des précipitations presque nulles, sa partie Sud est nettement plus arrosée avec des précipitations qui dépassent les 1500 millimètres[12]. Les précipitations sont même plus importantes ces dernières années et semblent contribuer à la stabilisation du lit du Lac Tchad. La logique subséquente aurait pu être un meilleur accès à l’eau pour les populations riveraines. Au contraire, les pluies diluviennes qui tombent sur le bassin, se déposent sur des sols perméables à quasi-imperméables. En effet, de manière générale, les sols du BLT sont de types vertisols, phaeozems, luvisols, lithosols, planosols et ferralsols.  En dehors des ferralsols dont la part est relativement marginale, la caractéristique commune de ces sols est leur quasi-imperméabilité due à leur base riche en argile et leur surface sableuse. Une telle morphologie débouche sur des difficultés pour le sol à absorber l’eau de pluie qui vient par ailleurs de manière très puissante. En effet, la capacité de rétention (CR) d’eau des argiles est < 0,1m/jour. Les inondations s’érigent dès lors en traditions à chaque saison de pluies, rendant les sols compacts. Ainsi, au lendemain de chaque saison sèche qui se traduit par la rareté de l’eau, les populations des zones inondées du BLT sont noyées dans des eaux contaminées qui ne peuvent leur apporter que maladies et misère. C’est le triste cycle du stress hydrique. A titre d’illustration, en 2018, des inondations à Diffa au Niger ont provoqué des pertes chiffrées à 717 millions de francs CFA correspondant à plus 400 hectares de riz, soit 3 000 tonnes[13]. En 2019 au Cameroun, 60 des 110 villages de l’arrondissement de Zina (pour 19 359 sinistrés) et 15 villages dans l’arrondissement de Kaï Kaï (pour 16 215 sinistrés) ont été lourdement affectés par les inondations[14]. Les parties nigériane et tchadienne du lac Tchad ne sont pas en reste.

De fait, comme indiqué plus haut, la sècheresse dans le BLT a considérablement rétréci le lit du lac. Alors que les pluies auraient dû constituer une aubaine, elles sont au contraire, sources d’ennuis d’autant que les options d’investissements choisies par les Etats riverains ne permettent pas toujours une exploitation optimale des eaux de pluie. En effet, entre barrages et irrigation intempestive, les aménagements subis par le lac font le lit aux phénomènes climatiques extrêmes ; en particulier les inondations.

Les populations du Bassin du Lac Tchad peuvent-elles espérer en la Charte de l’eau du Bassin ?

Face au stress hydrique et l’incertitude permanente qui l’accompagne, la coopération régionale et sous régionale apparaît depuis des décennies comme une clé de sortie de la crise de l’eau dans laquelle est plongé le BLT. Un des moments majeurs de cette coopération réside dans l’adoption le 30 avril 2012 d’une Charte de l’eau du Bassin du Lac Tchad, après la Vision 2025 adoptée en 2000 et au nom de laquelle la CBLT[15] aspirait « à une région du Lac Tchad où chaque pays membre [et donc ses populations] a un accès équitable à des ressources en eau saine et suffisante pour satisfaire ses besoins et ses droits… ». La Charte de l’eau du BLT a vocation à régir l’utilisation des eaux du bassin en vue d’une gestion rationnelle de celles-ci. Elle reconnait aux populations des Etats parties le droit à l’eau et à l’assainissement. Dans un contexte où la Charte s’inscrit parmi les pionniers en matière de consécration dans un instrument contraignant, d’un droit à l’eau, il importe d’en interroger la capacité à relever des communautés meurtries par un stress hydrique dû tantôt à l’extrême sècheresse et la désertification, tantôt à des inondations qui altèrent sans cesse la qualité de l’eau. En effet, en l’état actuel, deux facteurs semblent déterminants. Le premier, relativement externe aux Etats du bassin, réside dans le changement climatique, qui appelle une réponse globale autant que la valorisation des savoirs traditionnels. Le deuxième réside dans les politiques de développement des pays riverains du BLT encore fortement axées sur le détournement des eaux du Bassin. Entre construction de barrages, aménagements hydro-agricoles et construction de digues, la Charte de l’eau pourrait n’avoir aucun impact positif sur l’accès des communautés aux ressources en eau dont elles ont besoin pour leur boisson autant que pour leurs activités de subsistance : pêche, agriculture, élevage, etc. Sans une modification substantielle des options de développement ayant cours dans le BLT, les mêmes causes produiront sans doute les mêmes effets. Le stress hydrique continuera à faire l’actualité au sein des communautés et les conflits inter-communautaires suivront leur cours tant à l’échelle nationale que transfrontalière.

CONCLUSION

Le changement climatique et l’eau entretiennent des interactions particulièrement étroites dans le pourtour du Lac Tchad. Si le premier est un important facteur d’assèchement du lac, l’on lui attribue également souvent les pluies torrentielles qui s’abattent annuellement dans le Sud du Bassin et qui laissent derrière elles de désastreuses inondations. Ainsi, à longueur d’année, les communautés riveraines de ce bassin des extrêmes sont dans une tourmente imposée tantôt par la rareté de l’eau, tantôt par une abondance qui en altère la qualité. L’actualité de ces dernières années marquées par le terrorisme amène à s’interroger sur l’accès à l’eau d’un groupe dont la vulnérabilité croit avec le nombre : il s’agit des migrants dont le nombre est estimé par les Nations Unies à près de 2,8 millions de personnes. En effet, déplacés et réfugiés constituent une nouvelle source de pressions sur les ressources en eau déjà extrêmement limitées dans l’espace BLT. En tout état de cause, plus que jamais, la jouissance du droit à l’eau et à l’assainissement doit constituer une priorité des politiques pour sauver la vie dans le BLT et les vies des plus de 30 millions d’individus qui en dépendent.

 

REMERCIEMENTS A:

Dieudonné MEVONO MVOGO, Doctorant en Droit international de l’environnement, Université de Wuhan, Chine

Stéphane LAKO, Coordonnateur Water for Life Cameroon

[1] Juriste, Coordonnateur de Action pour le Développement Communautaire (ADC)

[2] Juriste, Coordonnatrice des Programmes de Action pour le Développement Communautaire (ADC)

[3] Ingénieur des Mines, Consultant

[4] Ministère des Arts et de la Culture, « La Partie Camerounaise du Lac Tchad », https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/6318/, Consulté le 20/03/2020

[5] Au sens de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, la sècheresse s’entend d’un « phénomène naturel qui se produit lorsque les précipitations ont été sensiblement inférieurs aux niveaux normalement enregistrés et qui entrainent de graves déséquilibres hydrologiques préjudiciables aux systèmes de production des ressources en terres ».

[6] « Dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». Article 1er Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification

[7] Au fur et à mesure du rétrécissement du lit du lac, les populations ont souvent migré vers le rivage pour accéder autant que faire se peut, à l’eau pour leurs usages divers.

[8] Entendues comme un phénomène de submersion temporaire, naturelle ou artificielle, d’un espace d’ordinaire émergé.

[9] RAMSAR et UNESCO, Les zones humides protègent l’eau, https://www.ramsar.org/sites/default/files/documents/library/brochure_f_0.pdf, Consulté le 21/03/2020

[10] Les auteurs entendent par hydrovores, « consommatrices d’eau »

[11] GIZ, Audit Environnemental Conjoint sur l’Assèchement du Lac Tchad. Rapport d’audit conjoint, GIZ, mai 2015, p. 9

[12] CBLT, Rapport sur l’état de l’écosystème du bassin du lac Tchad, GIZ, Septembre 2016, p. 44

[13] Voice of Africa, https://www.voaafrique.com/a/des-centaines-d-hectares-de-riz-d%C3%A9truits-par-des-inondations-au-niger-/4674385.html, Consulté le 21 mars 2020

[14] OCHA, « Cameroun : Extrême-Nord, Logone et Chari, Mayo Danay – Inondations », Situation report n°1, 29 septembre-15 octobre 2019, p. 1

[15] Commission du Bassin du Lac Tchad

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2 thoughts on “TROP D’EAU, PAS D’EAU : LES COMMUNAUTES DU BASSIN DU LAC TCHAD TOURMENTEES PAR UN STRESS HYDRIQUE PERMANENT

  1. Je trouves votre article vraiment très intéressant etant donné qu’il se préoccupe du droit a l’eau ,ce dernier étant un actif de l’environnement ,et à son assainissement.

    1. Merci. Vivement que la situation s’améliore pour nos populations de manière générale et celles du Bassin du Lac Tchad en général, car comme qui dirait, « l’eau c’est la vie ».

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